Forteresses d'amour
- Captain Emeline
- 6 avr. 2021
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Un grand bataillon en armures argentées approchait de la forteresse “Emeline”. Le capitaine, couronné d’un magnifique heaume pointu, héla les émeliniens à la porte de la ville. Une diplomate chargée de l’accueil l’interrogea sur ses intentions du haut des remparts.
“Ma Dame, nous venons de la forteresse “Nicolas”, sur l’autre versant de la vallée et nous avons vu votre ville resplendissante sous le soleil, avec ses clochers qui montent au ciel et ses éclats de rires qui fusent jusqu’à nous les jours de grand vent. Nous aimerions beaucoup unir votre ville à la nôtre pour échanger nos richesses !”
La diplomate répondit courtoisement :
“Nous vous remercions pour votre attention qui réchauffe notre cœur, nous avons vu votre belle ville de l’autre côté de la vallée, avec ses cathédrales imposantes et le bruit d’une vive animation qui vient à nous les jours de zéphyr. Nous serions heureux de laisser deux de vos citoyens visiter notre ville, après quoi nous continuerons d’échanger pour savoir s’il est bon de nous unir.
_ Cela nous paraît tout à fait raisonnable.”
Le bataillon partit chercher deux hommes de confiance : un diplomate, et un vieux scribe qu’ils considéraient comme la personne la plus avisée de leur cité. Les deux hommes furent escortés par le bataillon jusqu’aux portes puis entrèrent dans la forteresse, accompagnés par la diplomate.
La cité était construite sur une colline, chaque étage circulaire était un quartier spécifique et au sommet trônait un donjon hélicoïdal. Au premier étage, les deux hommes virent des gens de toutes sortes festoyant allègrement, certains dansaient, d’autres avaient le vin joyeux, d’autres encore distrayaient la foule par des jeux de mots et des histoires. Mais ces joyeux lurons étaient trop occupés pour remarquer les visiteurs.
Au deuxième étage, ils virent des hommes et des femmes lyriques, méditant, écrivant, peignant, récitant des poèmes ou faisant l’éloge de l’amour avec mélancolie. Mais ces poètes étaient trop occupés pour remarquer les visiteurs.
Au troisième étage, ils virent des scientifiques observer les étoiles, des scribes, des médecins, des architectes et des historiens. Ces intellectuels furent intrigués par le scribe et saluèrent respectueusement les visiteurs.
Au dernier étage, ils virent des églises avec des clochers mélodieux, des paroissiens pieux, des chœurs chantant des cantiques, des prêtres harangueurs. Les religieux furent heureux de voir le scribe et saluèrent chaleureusement les visiteurs. L’accès au donjon leur fut refusé et la diplomate les raccompagna jusqu’à la sortie de la cité.
A leur tour, les émeliniens furent invités à visiter la forteresse Nicolas avec deux personnes de leur choix. La diplomate partit donc avec une petite fille car elle était considérée comme la plus sincère de la cité. Elles furent escortées par le bataillon jusqu’à l’autre versant de la vallée. Elles étaient à la fois rassurées de s’aventurer loin de chez elles aussi bien accompagnées mais les cavaliers les intimidaient. On les invita à entrer dans la ville et visiter les quatre étages de la cité dominée par un donjon conique, avec un diplomate pour guide.
Au premier étage, elles virent toutes sortes de gens travailler avec ferveur, ils manipulaient des appareils sophistiqués, ils donnaient des directives ou suivaient des instructions, ils refaisaient le monde. Mais ces fervents travailleurs étaient trop occupés pour remarquer les visiteurs.
Au deuxième étage, elles virent des hommes et des femmes animés, ils organisaient des compétitions sportives, ils s’encourageaient à la course, ils interpelaient les passants, et certains se querellaient pour le plaisir de se réconcilier. Mais ces athlètes au cœur de feu étaient trop occupés remarquer les visiteurs.
Au troisième étage, elles virent des intellectuels comme ceux de leur ville et s’en réjouirent. Ils furent intrigués par la petite fille et saluèrent délicatement les visiteurs.
Au dernier étage, elles virent des religieux comme ceux de leur ville et s’en réjouirent. Ils furent heureux de voir la petite fille et saluèrent chaleureusement les visiteurs. L’accès au donjon leur fut refusé et le diplomate les raccompagna jusqu’à la sortie de la cité.
Les visiteurs rapportèrent aux maîtres de leurs donjons respectifs tout ce qu’ils avaient vu et entendu. On envoya alors des émissaires pour organiser un consul entre les intellectuels et les religieux des deux cités. Durant ce consul, tous les magistrats furent heureux de collaborer et vantaient les mérites des citoyens de la cité voisine. Ils proposaient de nombreux projets pour le présent et l’avenir et s’en félicitaient déjà.
Si bien que la question d’une union entre les deux cités fut à nouveau posée. Mais tous étaient inquiets au sujet des autres citoyens de leur cité : comment faire pour qu’ils s’entendent malgré leurs différences ?
Les émeliniens reprochaient aux nicolassiens d’être trop travailleurs et trop animés pour écouter les leurs et en prendre soin.
Les nicolassiens reprochaient aux émeliniens d’être trop délurés et trop lyriques pour respecter les leurs et assurer leur survie.
Les magistrats craignaient qu’ils se rencontrent ou qu’ils s’unissent sans faire éclater des conflits voire même une guerre sanglante.
Alors la petite fille prit la parole :
« Moi, j’ai visité la ville des nicolassiens. Et j’aurais aimé pouvoir apprendre à faire tout ce que font les travailleurs zélés. Et j’aurais aimé pouvoir courir et être forte comme les athlètes au cœur de feu. Ça m’aurait changé des émeliniens. »
Un silence parcourut la salle. Les magistrats peinaient à croire cette petite fille et ils se disaient entre eux : « Que peut-elle connaître des réalités dures de la vie ? Ce n’est qu’une enfant ! »
Alors le vieux scribe prit la parole :
« Moi, j’ai visité la ville des émeliniens. Et j’aurais aimé pouvoir m’amuser avec les joyeux lurons. Et j’aurais aimé pouvoir explorer les profondeurs de l’âme et de l’amour avec les poètes. Ça m’aurait changé des nicolassiens. »
Les magistrats toisèrent le vieux scribe et se dirent à part : « Il a perdu la tête, il dit ça parce qu’il n’a plus beaucoup de jours à vivre et personne à sa charge. Ce n’est qu’un vieil homme ! »
Puisqu’ils n’avaient pas réussi à convaincre les magistrats, le vieux scribe et la petite fille décidèrent de venir habiter eux-mêmes dans la cité voisine.
C’est ainsi que se fit l’union d’Emeline et Nicolas : un grand consul d’intellectuels et de religieux, ainsi que deux citoyens expatriés dans la ville de l’autre. Tels le ying et yang.

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