Ton arbre et mon nuage
- Captain Emeline
- 8 avr. 2021
- 3 min de lecture
Nous nous sommes rencontrés sans vraiment se rencontrer… je suis probablement trop dans les nuages pour rencontrer vraiment les gens. Mais toi, tu étais perché à la cime d’un arbre et tu m’as vue passer sur mon nuage, la tête en bas, les cheveux au vent, à observer les passants. Alors tu as murmuré, mais je n’ai pas entendu. Alors tu as parlé, mais je n’ai pas entendu. Alors tu as crié, et je n’ai entendu qu’un mot : joie.
C’est là qu’on s’est vu. Tu étais déboussolé d’avoir crié. J’étais secouée d’avoir entendu.
Joie ?
Je suis joie, m’as-tu dis. C’est très vrai. C’est très faux. Il faut beaucoup de tristesse pour être aussi joyeuse que je le suis. Il faut beaucoup de mort pour être aussi vivante que je le suis.
Jésus est le nom qui me vient ; ou plutôt Yeshua comme j’aime l’appeler. Il est la grande tristesse dans laquelle s’enracine la grande joie. Il est la grande mort dans laquelle s’enracine la grande vie.
Et moi, je porte la cicatrice de cette greffe à cœur ouvert.
Je veux bien m’approcher de toi qui as crié avec justesse.
Es-tu joyeux toi aussi ? Es-tu Yeshua ?
Tend vite ta main que je l’attrape avant qu’un coup de vent emporte mon nuage au loin !
Le garçon en haut de l’arbre avait attrapé fermement la main de la fille sous le nuage.
Ils avaient vécu un beau printemps où tout semblait renaître à la vie et la curiosité les poussaient toujours plus loin. L’été avait été empreint de chaleur et de tendresse, liant les âmes et les corps avec force. L’automne s’était montré une saison de sagesse, où l’obscurité grandissante rendait les rayons du Soleil plus saillants et plus beaux.
Ils avaient conversé le jour et la nuit, parlant de choses et d’autres, exposant leurs mondes respectifs, se découvrant mutuellement au fil des saisons.
Le garçon en haut de l’arbre faisait l’éloge de la grâce du nuage lorsqu’il se mettait à danser sous le Soleil, de sa pluie rédemptrice qui faisait pousser les fleurs fanées, de son coussin cotonneux comme un abri rassurant au milieu du désert angoissant.
La fille sous le nuage faisait l’éloge des branches de l’arbre toujours tendues vers le Soleil, de sa sève chaude qui pansait les blessures et bouillonnait de vie, de son tronc imposant et noueux comme un abri pour ceux qui se perdent au milieu de la forêt sombre.
Ils apprirent des choses sur eux-mêmes qu’ils n’auraient pas soupçonnées sans la présence et le regard de l’autre.
Le garçon découvrait au contact de la fille qu’il s’était contenté de rester planté où il était car il se satisfaisait de ce qu’il avait ici à portée de main. Lorsqu’il était agacé, il s’enivrait de ses propres fleurs pour s’apaiser ; lorsqu’il était anxieux, il se cachait au creu de son tronc pour se protéger ; lorsqu’il se sentait seul, il déployait plus de branches pour accueillir du monde. Finalement, le garçon se trouvait égoïste de se satisfaire de ce qu’il avait.
La fille découvrait au contact du garçon qu’elle avait porté sa charge de pluie et de tonnerre sur de trop longues distances sans s’arrêter et sans se décharger. Lorsqu’elle était triste, elle se gonflait de sanglots pour ne pas trop arroser le monde ; lorsqu’elle se sentait menacée, elle s’enfuyait en glissant sur le premier zéphyr venu pour ne rien affronter ; lorsqu’elle se sentait mal respectée, elle vrombissait d’éclairs contenus pour ne pas les faire atteindre leur cible. Finalement, la fille se trouvait égoïste de fuir ce qu’elle recevait.
Ils étaient un peu découragés de leur égoïsme et s’inquiétaient de faire du mal à l’autre à cause de leurs mauvais attributs. Mais c’était sans compter sur la nature qui, comme chacun sait, est gardienne des équilibres et ne tarit pas de ruses pour satisfaire tous les partis.
Les fleurs s’ouvrirent au contact de la douce pluie du nuage, et leur parfum se diffusa dans l’air avec délice. Le tronc s’assouplit en se laissant bercer par le zéphyr, et il pouvait ainsi contrer les forces de la nature qui se déchainaient sur lui. Les branches brûlées par le Soleil tombèrent et de nouvelles poussèrent pour mieux se dresser jusqu’à Lui, sa seule ressource.
La pluie se déversa jusqu’aux racines de l’arbre et le nuage fut plus léger. Au milieu du branchage, le nuage ne se laissait plus emporter par les éléments menaçants. Le Soleil réchauffait le nuage jusqu’à ce que ses éclairs s’anéantissent et Il se chargeait lui-même de brûler les cibles.
Lorsque le garçon et la fille constatèrent tous les changements que leur union avait opéré, ils ne purent que s’en réjouir. Ils se promirent de rester ensemble encore quelques temps pour expérimenter si leur union pouvait résister à l’hiver, après les avoir tant comblés. Il faudra souder leur union pour affronter le froid et la neige.

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