Témoignages de résilience : L'océan professionnel et ses requins
- Captain Emeline
- 20 mars 2024
- 4 min de lecture
Notre rédactrice Emeline Kreiss témoigne de ce qu’elle a dû surmonter dans son milieu professionnel. “Être soignant, c’est une vocation. Il faut se donner tout entier”, lui a dit une professeure à la faculté de psychologie. Se donner tout entier… à qui ? Elle nous révèle sa réponse comme une confession, comme un cri, comme une délivrance.
Par où commencer ? J’ai l’impression que ça s’est passé il y a une éternité alors que c’était il y a seulement quelques mois… Est-ce que j’arriverai à trouver les mots pour raconter cette histoire ? Avec le recul, elle me paraît si courante, presque banale dans le milieu professionnel. Elle ne sera probablement ni la première ni la dernière que l’on racontera. Le décor est très standard : une clinique secouée par la situation sanitaire, en sous-effectif, poussée par la course économique infernale, par les actionnaires affamés, tenue en laisse par le fils du directeur général.
Des conditions de travail indignes
Les carreaux en marbre blanc venaient d’être posés dans le hall d’entrée et sur tout le premier étage. Dans mon bureau, le jour de mon arrivée : pas un stylo ni même une feuille de papier. Puis s’ensuivirent cinq mois de délibérations avec mon employeur pour obtenir le matériel nécessaire à mon exercice professionnel. Rien ne bouge, je fais défiler les devis sans résultat… j’achetai une partie de ma poche. La rancœur envers mon directeur était si forte que j’en parlais à quiconque voulait bien m’écouter.
J’ai tant travaillé… les heures supplémentaires ne se comptaient plus. D’ailleurs, elles n’étaient tout simplement ni comptées ni payées.
Les patients défilaient toutes les demi-heures et se plaignaient de ne pas me voir assez longtemps ni assez souvent. Ils avaient des rencontres tous les jours avec les différents rééducateurs et étaient trop heureux d’être en suivi individuel avec moi. Ils étaient en groupe avec les autres professionnels, mais moi j’avais lutté pour rester seule avec eux. En tant que psychologue, je me sentais garante de leur individualité, de leur espace personnel et de la confidentialité de leurs propos. Ce qui m’a valu un nouveau conflit avec le directeur.
Une rupture abusive
Toutes ces luttes m’avaient achevée. J’ai pris une semaine d’arrêt maladie et à mon retour, j’ai demandé un entretien avec la direction. Le directeur adjoint m’a reçu et m’a transmis de la part de son supérieur qu’ils voulaient rompre ma période d’essai. Puisqu’il s’agissait de mon dernier jour avec ce statut, j’ai donc fait mes cartons en deux heures. Mon équipe était sous le choc et même les deux médecins chefs n’étaient pas au courant.
Colère et désespoir
J’étais si en colère et anéantie que je me sentais comme David encerclé d’ennemis, trahi par son propre fils, humilié et accusé d’être abandonné par Dieu. J’aurais voulu crier :
“ Quand je t'appelle au secours, mon Dieu, réponds-moi, toi qui rétablis mon droit. Quand j'étais dans la détresse, tu m'as rendu la liberté. Accorde ta grâce, écoute ma prière ! Vous autres, jusqu'à quand salirez-vous mon honneur, vous qui aimez accuser pour rien, et qui cherchez à me calomnier ? ” (Psaume 4, versets 2 et 3).
Je ne suis pas David, mais moi aussi j’ai crié et pleuré amèrement contre l’injustice que me faisait subir mon employeur.
Puis je me suis tue, je n’avais plus assez de larmes. Alors j’ai compris la suite de ce texte :
“ Apprenez que le Seigneur distingue celui qui est fidèle : il m'écoute quand je l'appelle au secours. Quand vous êtes fâchés, ne vous mettez pas en tort, réfléchissez pendant la nuit, mais gardez le silence.” (Psaume 4, versets 4 et 5).
Alors je me suis couchée et j’ai dormi pendant plusieurs jours, entrecoupés de moments d’errance et de réflexions que j’ai couchées sur le papier.
Il m’a fallu plusieurs semaines avant de comprendre ce qui allait se passer ensuite. Une psychologue m’a aidée à éclaircir cette situation. Je n’étais pas prête à travailler à nouveau, j’étais dégoutée du salariat. J’avais tendance à associer ce que j’avais vécu à d’autres situations similaires qui me sont arrivées dans le passé avec mes employeurs, jusqu’à devenir désespérée. Je voulais vivre personnellement ce que je lisais :
“ Offrez des sacrifices qui sont justes et faites confiance à la décision du Seigneur. Beaucoup se plaignent : « Comme nous aimerions voir le bonheur ! Seigneur, fais briller sur nous la lumière de ta face ! »” (versets 6 et 7).
Abandon et acceptation
Je me présentai devant Dieu comme j’étais, mon honneur sacrifié et mon cœur haineux. Je me suis dit que je n’avais pas de contrôle sur la suite des événements, mais que je ferais mon possible pour ne plus revivre ça et pour pardonner à ce directeur négligent. Je me suis plainte, j’ai soupiré et j’ai prié, à l’image du psalmiste.
Les jours qui ont suivi, j’ai senti que je reprenais des forces. Je me suis replongée dans les souvenirs de nos altercations avec un nouveau regard : observatrice plutôt qu’actrice. Je me suis replongée dans ma famille, dans mon couple, dans mes activités préférées. J’ai même fini au bout d’un mois par oser rechercher un nouvel emploi avec la ferme intention d’écouter mes intuitions et le discours des employeurs pour éviter l’épuisement, l’humiliation et l’incompréhension. Je me suis accordée de refuser plusieurs offres d’emploi qui me paraissaient trop risquées sur ces trois points.
Reconstruction et sérénité
Cette nouvelle assurance m’a offert une grande satisfaction. J’ai enfin trouvé chaussure à mon pied. Je peux dire comme le psalmiste :
“ Dans mon cœur tu mets plus de joie que ces gens n'en trouvent quand leur blé et leur vin abondent” (verset 8), voire quand leur travail leur plaît !
J’ai arrêté de prendre des cachets pour dormir et je savoure ce que j’ai lu :
“ Aussitôt couché, je m'endors en paix, car toi seul, Seigneur, tu me fais vivre en sécurité” (verset 9).
L’aide d’une psychologue m’a permis de déclencher ma démarche d’acceptation, et je lui en suis très reconnaissante. C’est au fil de la lecture des Psaumes et de la compréhension des émotions de l’auteur, que j’ai appris à offrir mon pardon et à me relever après l’épreuve. Grâce à leur principal auteur, le roi David, j’ai appris quelles étapes clefs son Dieu préconisait et je les ai suivies. La sagesse biblique m’inspire et nourrit ma résilience pour surmonter l’adversité.
Publié en 2023 dans le magazine Aspir’à + Journal de ma vie intérieure numéro 2 : Le pardon qui guérit dans la Bible
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