top of page

La femme poète

  • Photo du rédacteur: Captain Emeline
    Captain Emeline
  • 24 août 2019
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 12 mars 2020

Il n’y a pas de confident pour une femme poète. Ses rêves, elle doit les garder en son sein. La peur m’a saisie à la gorge : virage impromptu d’une relation littéraire entre un vieil ami poète et moi. Brisure. Blessure.

Je voudrais qu’on oublie ma condition. Telle l’allumeuse de Lydie Dattas, j’attendais cette parole qui détruit la mort : « Tu es belle, mais quand je parle avec toi, j’oublie ta beauté. »

Y a-t-il d’autres penseuses, d’autres rêveuses parmi les femmes ? Y a-t-il des femmes qui ont échangé leur royaume de séduction contre un royaume de pensées ?

Le terme réflexion est bien choisi : une surface renvoie la réalité qu’elle perçoit, mais légèrement différemment. Je suis ce miroir réfléchissant le monde. Je ressens le monde et le renvoie avec tant de force, qu’autour de moi l’air vibre et les coeurs se serrent. C’est la pensée au fond de mes yeux clairs qui provoque après son passage des murmures : « on ne sait jamais ce que tu penses… ». J’ai accordé une fraction de vie à l’homme qui a osé me dire ces mots. Il a avoué une vérité que nul autre n’a eu le courage d’exprimer.

Je suis un mystère pour moi-même que je tente de déchiffrer depuis ma naissance, comme tout être humain. Je me suis servie des mots, des mélodies, des harmonies, des couleurs, des mouvements, des images… rien n’a pas pu me faire percer le secret de mes profondeurs. L’être humain est un abîme. Ils sont fous ceux qui ne se rendent pas au bord de leur gouffre pour en mesurer sa profondeur. Je m’y rends chaque soir et chaque matin et toute la journée j’ai la bouche sèche en me remémorant ces instants. Je hais éternellement cette réalité : je pense. C’est un flot continue qui ne cessera pas même le jour de ma mort. Mes pensées sonneront en écho dans toutes les têtes que j’aurais croisées ma vie durant.

Pourtant, quel homme peut-il valoriser une femme qui pense ? Ce même homme à qui je me suis confiée m’a étiquetée « orgueilleuse » et m’a confié ses peurs : une femme qui pense, c’est une naine rouge, une étoile incandescente, prête à mourir en brûlant autour d’elle. Une femme qui pense est imprévisible et prend des décisions. Elle est autonome et pourtant elle est si fragile. Elle est en équilibre au bord de son gouffre. Qui sera l’homme suffisamment habile, sûr de lui, aimant qui lui prendra la main pour contempler son vide intérieur tous les jours de sa vie ? Il se tiendrait à ses côtés, silencieux, d’une sagesse sereine, attendant la chute inévitable. Sa paume chaude contre celle, tremblante, de la malheureuse pensante.

Je suis un arbre qui prend racine au bord de ce gouffre. Je grandis chaque jour, les racines plongées dans l’abîme obscure de mes pensées. Je voudrais m’envoler, comme toutes les branches de ce monde le voudraient, tendant leur cou vers le ciel avec vigueur. Mais si mes feuilles seront les seules à voyager, c’est lorsqu’elle mourront, lorsqu’elle seront détachées.

On ne peut arrêter un arbre de croître, on ne peut arrêter une femme de penser. Pas une cage, pas un grillage ne saurait l’entraver. Elle grandit sans jamais se retourner. Les pensées murissent et tombent comme des feuilles d’automne dans une ronde. Elles dansent dans le tourbillon de la vie, dans la tempête de l’existence. Je ne sais pas ce qu’il s’en suit.

J’ai voulu me confier à un poète, j’étais heureuse d’être son égale. Mais je reconnais que tous les poètes sont seuls. Mon âme ne peut se confier qu’à son créateur. Dans ma profonde solitude j’échange quelques mots ici et là. Je sème des pensées, je plantes des idées.


Qui sait, peut-être un jour, quelqu’un viendra-t-il les récolter ?



Comments


Post: Blog2_Post

©2018 by Voyage en terres intérieures. Proudly created with Wix.com

bottom of page